Intermédialités

présidence de séance: 
Johanne Villeneuve
vendredi 1er mai
communications: 

D’une intermédialité à l’autre, Fidget de Kenneth Goldsmith et le concrétisme poétique du groupe Noigandres

Par son titre, Fidget de Kenneth Goldsmith désigne tout à la fois un ouvrage imprimé, une performance et un site électronique. Ces versions respectent toutes l’intégrité du texte d’origine, mais en affectent radicalement la visualité. Pourtant, l’œil est étranger à la généalogie de ce texte. En effet, Fidget fut premièrement la transcription d’un enregistrement sonore. Le 16 juin 1997, Kenneth Goldsmith décrivit pendant treize heures la moindre de ses activités corporelles : des mouvements réflexes aux gestes conscients. Le texte qui en résulta porte la marque de cette oralité première : les verbes d’action se succèdent en une structure parataxique, le langage est réduit aux composantes essentielles de la désignation. Afin de réussir sa description, Goldsmith fut contraint d’adopter ce style sténographique, seul capable de s’accorder à la vitesse du corps.
Ce texte, aux références intermédiales pointant vers l’oralité, est paradoxalement pris à une autre frontière, qui est celle de la textualité et de la picturalité. Sur l’écran électronique, Fidget fait apparaître un langage qui, sous l’effet de jeux de texture tels que l’encombrement et la mobilité, succombe à un graphisme aliénateur. En effet, le signifié est parfois étouffé au grès des pérégrinations du texte dans l’environnement électronique. Dans leur analyse de la transposition intersémiotique, Claus Cluver et Burton Watson évoquent une translation comparable, effectuée de l’univers textuel à une représentation picturale.
La perte partielle de sens induite par la mise en scène visuelle du texte est compensée par des éléments texturaux signifiants. L’affichage du texte, par ses variations, construit des critères sémantiques permanents, repérables au cours de l’activité de lecture. Le langage de Fidget, fragmentaire dès l’origine de l’œuvre, se prête en vertu de ce caractère pauvre à une insertion dans une composition qui n’est ni proprement textuelle ou picturale, mais participe de ces deux domaines. Or des textes picturaux, pétris tout à la fois de significations figurales et de désignations linguistiques, émanèrent des publications du groupe Noigandres en 1958 à Sao Paulo. Pedro Reis identifie dans ces œuvres une authentique « pratique intersémiotique ».
La translation, qui fait du texte imprimé de Fidget une composition partagée entre textualité et picturalité sur l’écran, est une traduction intersémiotique. Comment l’auteur a-t-il transformé un substrat textuel en une composition hybridée ? Cette interrogation sera informée par le modèle antérieur de la pratique concrétiste de 1958.

Références bibliographiques

Campos, Augusto de. « The concrete coin of speech », Poetics today, vol. 3, n°3, été 1982, pp. 167-176.


Cluver, Claus et Watson, Burton. « On intersemiotic transposition », Poetics today, vol.10, n°1, printemps 1989, pp. 55-90.


Dworkin, Craig. Reading the illegible. Evanston : Northwestern University Press, 2003


Jakobson, Roman. « On linguistic aspects of translation », Selected writings, volume 2 : Word and language, La Hague : Mouton Éditeur, 1971.


Lyotard, Jean-François. Discours, figure. Paris : Klincksieck, 1971.

Présentateur: 
heure: 
11h00

Entre l’invention et l’inventaire : pensée encyclopédique, mémoire artificielle et cyberespace

Cette communication traitera des rapports entre quelques précurseurs et formes contemporaines de la base de donnée, tout en proposant une réflexion sur ses relations avec le récit. Comment les manifestations anciennes de la mémoire artificielle préfigurent-elles les fictions émergentes du cyberespace? Comme l’a bien posé Lev Manovich, le principe de la base de données est-il compatible avec le récit, ou sont-ils des modes irréconciliables? La base de données, forme culturelle en émergence, risque-t-elle de reléguer le récit dans la marge des pratiques culturelles issues du cyberespace? Les œuvres sur Internet relèvent souvent d’une esthétique de la base de données, qui éclaire d’un nouveau jour le principe millénaire de la collection ou celui de l’encyclopédie dans leurs rapports à la narrativité. Les wikis contemporains s’inscrivent dans la longue histoire des modes de conservation mnémonique. Le principe d’organisation issu d’une mémoire artificielle n’est pas né d’une génération spontanée, il ne procède pas seulement du rêve de Vannevar Bush voulant contenir le savoir dans une boîte d’allumettes ou de l’hypertextualité remédiatisant le palais de Xanadu. Il prend racine dans une pensée encyclopédique qui a traversé l’histoire. Du concept médiéval de l’inventio sont issus deux termes actuels : l’invention, propre à la création de nouveauté, mais aussi l’inventaire, qui renvoie au stockage de l’information, soit au principe de la collection. Inventer signifie concevoir, trouver, imaginer, innover. Inventorier signifie dénombrer des éléments, classer, recenser, cataloguer. On peut à nouveau joindre ces deux termes pour décrire le mode qui prévaut dans le site Web du projet The Tulse Lupper Suitcases de Peter Greenaway : celui-ci remédiatise la pensée encyclopédique à travers le mode de la collection et la notion d’archive, en configurant un environnement fictionnel qui se dissémine dans un éclatement médiatique. Ce mode de pensée millénaire relève à la fois d’un principe associatif et d’une logique de la trajectoire. À la Renaissance, il a donné naissance aux théâtres encyclopédiques du monde, comme celui de Camillo, ou encore aux palais imaginaires de Giordano Bruno, hybridant l’art combinatoire de Lulle avec les réseaux d’images inspirés des arts de mémoire. La déambulation de chambre en chambre dans une architecture imaginaire, où s’interpellent réseaux associatifs et lieux à parcourir, nous suggère un autre théâtre contemporain qui se profile dans un environnement virtuel comme Second Life. Il s’agira d’explorer ces jeux d’aller-retour entre les formes anciennes de la collection investies d’imaginaire et les fictions émergentes du cyberespace.

Présentateur: 
heure: 
11h30

diner2

heure: 
12h00-14h00