Perspectives esthétiques

présidence de séance: 
Joanne Lalonde
vendredi 1er mai
communications: 

L'Ontologie des multivers et la question de la réalité

Si nous pouvons concevoir l'existence "réelle" de multivers, nous avons cependant du mal à les tenir pour "réellement" habitables.
Que signifie cette impossibilité? peut- elle être surmontée, ou fait-elle partie de structures mentales " inscrutables" (selon l'expression de Quine)?

Présentateur: 
heure: 
09h15

Publics à l'oeuvre : arts et médias praticables

Internet place l’oeuvre d’art au coeur d’une négociation entre artistes, informaticiens, dispositifs techniques et publics enrôlés. En amont, le travail créatif associe différentes opérations intellectuelles d’écriture conceptuelle, algorithmique et scénaristique, d’où il résulte une gamme élargie d’externalités : les couches de programmes, les scripts d’emplois, les interfaces utilisateurs, les images à acter dont les statuts et usages sont redéfinis. En aval, la mise en oeuvre d’art n’existe qu’à travers l’articulation sociotechnique de différents fragments, prises et actions collectives, situées et instrumentées. Par la mise en scène de médias praticables, le Net art déploie en effet des cadres de sociabilités et d’actions renouvelés. Une expérience doublement perceptive et manipulatoire des oeuvres s’y trouve par conséquent engagée et implique, pour les médias et l’image, la nécessité d’un équivalent de ce qu’est en musique l’interprétation : entendue au sens de « pratique ». En s’étendant aux oeuvres d’art numériques le modèle performatif mis au point par la musique redéfini l’acte de réception.

L’interactivité et la jouabilité y composent deux nouveaux régimes sociotechniques d’interprétation des oeuvres, qui se doublent d’un renforcement de l’activité d’écriture (du concept, du scénario) et qui génèrent un allongement des consignes et modes d’emploi préalables ainsi qu’une une multitude de traces interprétatives. D’une part, l’attention du public ne se borne plus au seul objet présumé de la visite (l’oeuvre), mais doit également porter sur les conditions techniques de sa réception. D’autre part, l’expérience des médias y est moins strictement distribuée entre une émission et une réception conçues comme deux événements successifs d’un message fixe et immuable. Là où l’oeuvre matérialise désormais un univers des possibles, l’expérimentation reprend le dessus sur la logique traditionnellement rigide de la transmission des contenus informationnels.

En questionnant les théories de la réception, au croisement de l'anthropologie des techniques, de la sociologie de l'art et des sciences de la communication, ma conférence mettra au jour ces inter-activités médiatiques et leurs incidences sur la désignation et circulation d'une oeuvre d’art qui se développe selon des cours d'action et des économies spécifiques. C’est la perspective, sociologique et communicationnelle, que je poursuis aujourd'hui dans le cadre d’un contrat de l’Agence Nationale de Recherche (ANR) intitulé «PRATICABLES - Dispositifs artistiques : les mises en œuvre du spectateur» (DALMES, 2009-2011).

 Les modalités de l’implication et les pratiques du public seront approchées de différentes manières : par l’observation, en amont de la participation, de stratégies artistiques de captation et de fidélisation du public (contrats de réception et aménagement de prises sur l’oeuvre) ; par l’examen des conditions potentielles de la participation du visiteur mises en scène dans des dispositifs informatiques (figures de l’interactivité) ; par l’étude de la participation effective, des interactions et de l’implication sociale du public (modes d’interaction entre l’artiste, l’oeuvre et son public).

Présentateur: 
heure: 
09h45

Des Passages pas si éphémères – ou comment ré-ontologiser les restes dans la poésie numérique

Face à l’instabilité de l’œuvre numérique, qui est principalement liée au changement des programmes et de la vitesse des ordinateurs, l’artiste a trois possibilités :
- soit il réclame le « bon » environnement pour son œuvre – exigence qui, avec le temps, se heurtera de plus en plus à l’impossibilité de conserver les machines, les logiciels, les systèmes d’exploitation devenus obsolètes, et pourtant nécessaires pour visualiser l’œuvre « correctement » ;
- soit il accepte de créer de l’éphémère, de l’immaîtrisable, en s’inscrivant dans ce que Philippe Bootz appelle une « esthétique de la frustration » ; il peut ainsi décider de laisser l’œuvre se décomposer lentement, la laisser changer de formes et d’actualisations, assumant non seulement le fait que l’incident et l’imprévisible s’inscrivent dans l’interprétable d’une telle œuvre, mais faisant de la brisure un principe esthétique – « l’auteur est libre de réaliser, oui », explique Philippe Bootz, « mais seulement dans un ici et maintenant avec, pour futur proche, l’obsolescence. Voilà la nouvelle posture de l’auteur : gérer la brisure de son projet » ; une vision littéralement désenchantée de l’œuvre et du monde, où l’ici et le maintenant ne font plus jamais retour ; la consistance de ces œuvres est « celle de la grande passivité des choses sans raison », comme l’exprime Jacques Rancière, ou des « filets tendus sur le chaos » dont parlent Gilles Deleuze et Félix Guattari ;
- soit alors, troisième réaction possible face à l’instabilité de l’interface numérique, l’artiste « réenchante » celle-ci en l’investissant de l’esprit du sublime et de la nostalgie. Tendance néo-symboliste qui constitue le principe esthétique de certaines œuvres numériques comme Revenances de Gregory Chatonsky. L’auteur se réclame d’ailleurs de l’héritage du film Histoire(s) de cinéma de Jean-Luc Godard , avec, au niveau structurel, le mystère comme catégorie esthétique, comme elle a été élaborée par Mallarmé et reprise par Godard.
Les deux esthétiques, celle de la frustration et celle du réenchantement, sont entre autres basées sur l’utilisation de figures spécifiques à la littérature numérique. L’esthétique du réenchantement est plus proche de la poétique du mot d’esprit qui invente ; elle re-théologise les relations entre significations et matérialités - ne serait-ce que pour prôner l’existence d’un indicible, d’un irreprésentable, qui ne pourrait pas être dit, mais être rendu sensible par le biais de l’inter-médialité manipulable. L’esthétique de la frustration en revanche, se montre méfiante vis-à-vis du grand mélange indifférent des significations et des matérialités ; elle tend naturellement vers des figures a-média, où plus aucune relation signifiante ne peut être établie entre le geste de manipulation effectuée par le lecteur, la mise en mouvement des mots et des images et leur contenu. L’esthétique de la frustration et l’esthétique du réenchantement dans les arts numériques constituent donc en principe deux façons très différentes d’écrire le deuil de l’image, de la signification et du récit au début du 21ème siècle.
Il est pourtant intéressant d’observer que chaque esthétique est parfois ouvertement, parfois secrètement « minée » par l’autre. Dans des parties du poème numérique Passage de Philippe Bootz, dont l’analyse détaillée sera placée au centre de cette communication, des processus « adaptatifs » assurent ainsi une certaine cohérence esthétique de l’actualisation de l’œuvre avec l’intention de l’auteur – comme si, au moment où la brisure et l’obsolence semblent imminentes, il s’agissait quand même de ré-ontologiser les restes.

Présentateur: 
heure: 
10h15

pause

heure: 
10h45